BANQUET d'HIVER à PARIS

Dimanche 3 Février 2019, salons du Novotel Paris / Bercy
Ce banquet est placé sous la présidence de M. Christian Vigouroux.

M. Christian Vigouroux

Originaire de l’Aveyron, il est un véritable ami de la Creuse qu’il habite après son mariage avec une Creusoise.
Professeur de droit public, il a été directeur de cabinet de plusieurs ministres.

Il est le président adjoint de la section sociale du Conseil d'État depuis 2016.

Il a été auparavant président adjoint de la section du contentieux, président de la section du rapport et des études et président de la section de l’intérieur. Il occupa le poste de directeur de cabinet auprès des ministres de l’université, de l’intérieur, de la justice et des affaires sociales.

Christian Vigouroux fut également professeur de droit public à l'université de Versailles-Saint-Quentin-en-Yvelines et à l'université Paris-1 Panthéon-Sorbonne.
Il est président de l’Institut Pasteur.

Le 3 février 2019,

Discours de M. Christian Vigouroux au banquet annuel des Creusois de Paris

Rassurez vous, je ne vais pas vous parler du droit, de la police, de la science ou de la littérature ou de l’administration quelques thèmes qui me sont chers. Je vais vous parler d’un objet étrange qu’est la Creuse.
Mais n’entre pas en Creuse qui veut. Il faut les codes. Les codes secrets. Chacun a les siens.

        Je vais vous livrer les miens, en vous demandant de ne pas les diffuser : 40 et 2, 20 et 2
          40 et 2 ans que j’ai découvert la Creuse et je ne l’ai plus quittée
          20-2 c’est l’article du code civil sur l’acquisition de la nationalité par mariage, le procédé par lequel je suis devenu creusois

        Alors je vous emporte dans MA vison subjective d’une Creuse balançant entre célébration et minoration :
                      - la célébration d’abord : la Creuse est un grand paysage du monde
si l’on en croit Claude Simon, prix Nobel de littérature qui dans Histoire (prix Médicis 1967) décrit les images populaires de voyage : « vues artistiques : Colombo, Bagnères de Bigorre, vues de Nuremberg, Caïro arabian girl, Botanical Garden, le Perche pittoresque, Gavarnie la grande cascade, Singapore, Aden » et au milieu de cette énumération publicitaire « les bords de la Creuse »
        de même, Balzac avait été séduit par « les jolis vallons de la Marche » dans le Curé de village.

                      - mais la minoration, souvent, la Creuse est un petit pays victime de préjugés :
        il y a bien des années, j’assiste le ministre que je sers à l’époque pour recevoir une personnalité éminente. Celle-ci, à court d’argument pour prouver l’inutilité d’un de nos chantiers, s’écrie « mais croyez vous que cela interessera …le boucher de la Creuse ? ». Le ministre impassible se tourne légèrement vers moi et la personnalité qui saisit cet échange muet comprend, mais trop tard, que son exemple était inapproprié…n’est pas Claude Chabrol qui veut.
        La Creuse, toujours sous estimée par l’alliance de ceux qui ne l’ont jamais comprise ni hier ni demain, et de ceux qui veulent la garder pour eux. Mais, à force d’être minorée, elle devient un symbole, un mystère, un élan et presque un snobisme

        En attendant, le musée des incompréhensions reste fourni :
        Il vient de loin :
        Dans les Merveilles de la France d’Ernest Grancher, vers 1920, l’auteur ose sur la femme creusoise : « c’est elle qui laboure, sarcle, fauche, moissonne, soigne le bétail, et ce rude métier, qui l’épuise et la fane de bonne heure, lui enlève la grâce rustique qu’ont les fermières des « bons pays »…c’était il y a un siècle. Aujourd’hui la Creusoise resplendit, regardons dans cette salle…
        Plus récemment, malgré l’influence de son ami Pierre Michon, Jean Echenoz se sent perdu en Creuse dans Envoyée spéciale 2016 : « la Creuse compte de vastes pans inoccupés voire, dans le sud, quasiment déserts… En forêt, hormis quelques bêtes sauvages –loups sans affect, cerfs ombrageux, sourcilleux sangliers- qui cherchent, elles aussi, de quoi manger… il est d’autant plus rare de croiser une présence humaine que la région se dépeuple à vue d’oeil… »
Deux ans plus tôt en 2010, Houellebecq dans La carte et le territoire décrivait, mais en plus banal, le même effroi…

Mais la Creuse a du répondant :
Et dernier avatar de cette incompréhension, le curieux livre de Vincent Noyoux Tour de France des villes incomprises¹ en 2016, curieux par le retournement produit par la découverte de Guéret et de la Creuse: malgré la volonté initiale de moquer gentiment, le chapitre sur la Creuse s’adoucit progressivement jusqu’à devenir une invitation à découvrir l’école de Crozant et les écrivains, le numérique décentralisé et « ce fin fond de la Creuse où l’on s’enlise pour mieux rejaillir ». L’auteur, créateur de guides touristiques, s’est laissé captiver par le chant des sirènes creusoises. Il n’est ni le premier ni le dernier.

On peut s’appeler (la) Creuse, pas pleine mais pas vide
ni concave ni convexe mais complexe

Ce pays 1) de courage, 2) de création, 3) de compétence
                      ce pays de courage
        - le pays à la soixantaine de « Justes parmi les nations », voir le beau livre de Christophe Moreigne que j’ai eu l’honneur de préfacer La mention rouge
Et Marc Bloch dans sa maison de Fougères-Le bourg d’Hem, il évoque en 1930 « un pays infiniment séduisant »
        - le pays de Martin Nadaud, le préfet de Gambetta, ce magnifique exemple de volonté et d’anticipation que, sous la houlette d’André Caffy, nous avons essayé de faire entrer au Panthéon, où il serait le premier ouvrier-paysan, pour avoir inventé maints sujets d’avenir, les retraites et les accidents du travail, la lutte contre le chômage, l’éducation des filles et la rénovation des prisons. Un Creusois honoré par Victor Hugo et Waldeck-Rousseau !
Longue vie à la maison de Soubrebost !
        - le pays de ceux qui ont construit Paris ( « limousiner »)

Car on ne s’en laisse pas compter en Creuse, Aldebert comte de la Marche assiégeant la ville de Tours aurait répondu à Hugues Capet qui lui lançait « qui t’a fait comte ? » par un rude « qui t’a fait Roi ? »…

                      Ce pays de création
        - Avec la signature mondiale, UNESCO, pour ses tapisseries, je salue le travail de M.Emmanuel Gérard à la cité internationale,
        - Avec ses peintres non seulement de l’école de Crozant mais le mystérieux tableau de Monnet offert à Clémenceau en 1899, sous lequel il a travaillé jusqu’à la fin de sa vie rue Franklin, aujourd’hui caché dans le palais de la reine mère d’Angleterre « le Bloc ». Ce titre polysémique, à la fois bloc de roche sur la rivière Creuse, référence à Clémenceau « la Révolution est un bloc », au journal du même, et à l’image de résistance du grand homme. A Strasbourg, la tombe du plus fidèle des clémencistes, le Colonel Picquart dont je suis le biographe et qui guide le prochain film de Roman Polanski avec Jean Dujardin, est un « bloc » de roche. A ma demande, Guéret a bien voulu honorer le Colonel Picquart d’une rue, trois ans avant Paris.
        - Avec ses écrivains peu portés aux mièvreries du monde, Françoise Chandernagor du Goncourt a le prix et le fauteuil, Michon, de l’Académie française a le prix mais non (encore) le fauteuil comme si l’Académie ne savait pas compter jusqu’aux 11…
                      Ce pays de compétence
        - Avec ses professionnels, créateurs d’entreprises qui réussissent, je pense aux AMB « ateliers métallurgiques de Bussière » qui montrent qu’on peut faire de la micromécanique pour la NASA ou Airbus à 20kms de Guéret (votre bulletin l’a signalé en septembre 2014…) l’entreprise pourrait mettre sur sa porte « Paris, Pékin, San Francisco, Bussière Dunoise », dans un itinéraire commercial à la hauteur de la Creuse
        - Avec ses commerçants comme la quincaillerie de Bénévent-l'Abbaye célébrée par FR3 au jour de l’an 2019, dirigée de main de maître par Mme Christine David et les boulangers du gâteau Creusois, grâce à moi, on a dégusté des creusois dans pas mal de palais nationaux…
        - Avec ses médecins : au-delà du père et du grand père de mon épouse Françoise, les Dr Sinaud, du non-conformiste Dr Parain maire de la Souterraine pendant 25 ans (1947-1971), au-delà des grandes tribus médicales signalées avec raison par l’ordre départemental tels Léon Binet² (1891-1871) les Judet…
        Mais je voudrais saluer, en tant que président du conseil d’administration de l’Institut Pasteur, trois praticiens creusois et pasteuriens aux destins contrastés :
** GRANCHER Jacques Joseph, né à Felletin (1843 -1907) l’assistant direct qui apporte la médecine au chimiste Pasteur spécialement pour la rage
** Eugène PESAS né à Versillat (1867-1897) fulgurant vétérinaire militaire qui assistera le grand Yersin au nouvel institut Pasteur de Nha Trang et contribuera à la victoire contre la peste Yersina Pestis avant d’en mourir contaminé, (Jean-Philippe Benoît mémoires de la société des sciences naturelles, archéologiques et historiques de la Creuse 2016 p.368)
** Eugène JAMOT né à St Sulpice les Champs et mort à Sardent (1879-1937), au tragique de ses pasteuriens, le héros de la lutte contre la maladie du sommeil, fauché dans sa gloire par l’erreur d’un collaborateur
. Basculement d’une vie, du presque Nobel au retour à la Campagne creusoise.
. Eugène Jamot la lutte contre la « trypanosomiase » ou maladie du sommeil
. 6 mai 1931 inauguration par Pdt Domergue de l’exposition coloniale. Un film sur l’action du Dr Jamot au Caméroun est   fortement applaudi
. Mais en 1931 aussi, les troubles oculaires chez les populations du Caméroun conséquences d’un dosage trop élevé du tryparsamide (20% d’arsenic) par un de ses jeunes médecins va causer sa perte.
. Retour à St Sulpice des champs.
        Il faut se souvenir, aussi, de ceux qui ont subi les dures conséquences de leur engagement au service de la santé publique.

En mai 2017, la société des sciences naturelles, archéologiques et historiques de la Creuse avait consacré un colloque aux Marches, limites, frontières en France centrale que j’avais eu l’honneur de conclure: le Centre peut-il avoir des frontières : c’était un beau sujet… notre commune de Bussière-Dunoise est exactement à la limite de l’Oc et de l’Oil, des anciennes régions Centre et Limousin. Du foot et du rugby
J’aime cet entre-deux, cet espace de liaison entre les mondes, cette Marche, cette première marche des monts du Centre signalée par le puy des 3 cornes, première vigie du Massif central, il faut toujours respecter les éclaireurs qui promettent et qui délivrent, en tout cas qui voient loin. À leur manière, ils dessinent l’avenir.

Continuons à porter résolument la réputation de la Creuse à Paris et ailleurs, au-delà de toutes les frontières.

¹ Gueret rejoint Mulhouse, Vesoul, Cergy, Cholet, Vierzon, St Nazare, ou Maubeuge
² A présidé l’académie des sciences puis celle de médecine