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Publication : mardi 5 août 2014 21:59
Écrit par Jean-Michel Monnet-Quelet
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Redécoupage des régions :
quelles perspectives pour les Marchois-es ?

 par Jean-Michel Monnet-Quelet

La presse nationale a relaté les vagues créées en Corrèze avec le projet de création d’une nouvelle Région qui réunirait Centre, Limousin et Poitou-Charente. Dans Aujourd’hui en France/Le Parisien du 7 juin 2014 sous le titre « Guerre de sécession », on apprend que le maire de Tulle « plaide pour un démembrement de la région [Limousin – NDLA] et un rattachement de la Corrèze à l’Aquitaine ». Même réaction pour le maire de Brive qui « estime lui aussi qu’il doit entrer en sécession et rejoindre le Lot ou la Dordogne ». Du fait de ces pressions est apparue une nouvelle option, celle du rattachement du Limousin à l’Aquitaine…

Le constat de différences profondes au sein de la Région Limousin n’est pas nouveau. Le journal La Montagne du 30 octobre 2009 publiait une chronique sous le titre « Chat…Minadour s’identifie ». Celle-ci s’interrogeait sur l’identité limousine : « Existe-t-elle ?  Le débat sur la LGV [Ligne à Grande Vitesse – NDLA] démontre le contraire, des élus régionaux y affirmant au grand jour que le Conseil général est au service de la seule ville de Limoges. Il y a la Corrèze, aussi, qui fait son aéroport à elle, contre Bellegarde. Et entre les deux, la Creuse, qui a les moyens de rien et est en banlieue de tout ».

C’est bien là le drame marchois : la Haute Vienne limousine a connu un rayonnement avec Limoges, la Corrèze a donné deux Présidents de la République tandis que la Marche est restée le parent pauvre de la Région au sein de laquelle son identité a été quasiment gommée.

 

Pour les Marchois(es), intégrer une Région Centre-Ouest serait incongru ?
- Dans la Vienne, Charroux a été la première capitale de la Marche et à Gençay le Centre culturel s'appelle La Marchoise.
- Dans l'Indre, à Mouhet, le concours de chanson française « belle et rebelle » a lieu dans le cadre du Festiv [1] en Marche  [1]. Début juin, la finale intitulée "Chansons de paroles" regroupe des chanteurs et chanteuses qui viennent justement des régions Centre, Poitou-Charente et Limousin.
- Parmi les lignées de comtes de la Marche figure la branche des Bourbons ce qui explique que le blason de la Marche soit présent dans différents édifices situés en pays d'oïl (à noter qu'il n'y en a aucun dans le pays Limousin) :

La Sainte-Chapelle de Champigny-sur-Veude, dans l'Indre-et-Loire, diocèse de Tours, représente Jacques 1er et Jean 1er, comtes de la Marche Dans le Loir-et-Cher, au nord de Tours et à 15 km à l'ouest de Vendôme, le donjon de Laverdin porte les armoiries marchoises.
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Autonome pendant près de 1 000 ans, la Marche possède un blason qui reprend celui du Bourbonnais auquel on a ajouté trois lions, héritage de la famille des Lusignan qui dirigea elle aussi le comté.

 



 

La Marche

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 - La partie hachurée autour de Charroux, première capitale de la Marche, recouvre une partie initiale du territoire marchois qui a ensuite été intégrée au Poitou.

- Zone avec des pointillés : au centre, Evaux était le centre d’un petit pays (40 km de long et 15 km de large) doté de coutumes particulières : la Combraille. Au sud se trouvait le Franc Alleu, pays limité à une vingtaine de paroisses autour de Bellegarde et de Crocq dont quelques-unes étaient enclavées dans la Marche. On sait peu de choses sur l’origine de ces deux entités mais l’élection d'Evaux a correspondu à la Combraille et au Franc Alleu. En 1580, Pierre Robert, originaire du Dorat (Basse-Marche), écrivait dans son Histoire de la Marche que les localités de Combraille « sont de la generalité de Moulins et de la seneschaussée de la Marche, car le seneschal de la Marche l’est de Combraille pour le spirituel (…)  [2]. En 1789, la Combraille va demander « sa propre représentation aux états généraux sous prétexte qu’elle n’a jamais appartenu aux états d’Auvergne » relate Christophe Jamain. A défaut, elle demandera à être rattachée à la Haute Marche de préférence à l’Auvergne, tout comme le Franc Alleu. Aujourd’hui, ces deux petits pays sont assimilés par commodité à la Marche. Ainsi, le Pays de Combraille [3] en Marche est un regroupement de collectivités locales situé à l'est du département et Bellegarde, autrefois « capitale » du Franc Alleu, se nomme de nos jours Bellegarde-en-Marche. De nos jours, on parle en géographie de la Combraille marchoise.

- Le Dorat a été considérée comme étant la « capitale » de la Basse Marche.

- Le destin de La Souterraine va varier au fil du temps. Hugues IX de Lusignan, comte de la Marche, s'en empare en 1207. En 1242, Saint Louis y réunit les Etats Provinciaux du centre de la France. Mais ce territoire constituera aussi à un moment donné de son histoire une enclave en terre marchoise et deviendra l’une des sept baronnies du Poitou.

 



 

La Coordination Occitane du Limousin estime en juin 2014 que si la région Limousin devait être rattachée au Centre-Ouest, elle « sera[it] désormais arrachée à l’ensemble occitan qui contribuait fortement à lui conférer son unité et son identité culturelle [4] ». Cette vision uniforme de la région fait fi à la fois de 1.000 ans d’Histoire (la Marche a été autonome du Limousin jusqu’au projet de création des Régions dans les années 1950) mais aussi d’une réalité linguistique spécifique avec la nature du Croissant marchois et de sa langue. Intégrer une grande région Aquitaine serait la nouvelle donne pour la région Limousin entraînant de fait avec elle la Marche mais avec quelle cohérence pour cette dernière ?

En Haute Vienne, les Monts de Blond délimitent à la fois deux zones linguistiques (le marchois au nord et l’occitan limousin au sud) mais aussi deux pays historiquement différents (au nord la Basse Marche et au sud le Haut Limousin).

Au sujet de ces monts, Jean Varlet, professeur de géographie à l'université de Clermont-Ferrand, constate que « côté sud, un versant limousin, à l’occupation humaine très ancienne (…) en dégradé du sud vers le nord, est davantage tourné vers le midi aquitain (langues d’oc, habitat, toits, emprise politique des vicomtes deToulouse) ; c’est une marge aquitaine (…) ». La volonté limousine de se tourner vers l’Aquitaine pourrait donc être justifiée mais qu’en est-il pour la Marche ?

J. Varlet décrit « côté nord, un versant marchois (…) soumis à l’emprise parisienne dès le Moyen Age : développement d’un semi-bocage complémentaire de l’openfield du Bassin parisien central avec entrée simultanée dans la couronne d’élevage semi-extensif du Bassin parisien; francisation plus précoce qu’au sud, attraction directe actuelle. C’est une marge parisienne [5] ».

Au début du XXe siècle, l’historien Désiré Brelingard constatait que la Creuse est « ouverte vers le nord, résolument campagnarde ». Par contre, plus au sud, la Corrèze est elle « fertile en ministres, regardant vers le Midi » et Brive est décrite comme étant le « portail vivant du midi [6] ».

L’attraction vers le sud et l’Aquitaine pourrait sans doute être retenue pour le Limousin linguistique et historique, elle ne l’est pas pour la Marche.

Ce constat n’est pas nouveau et on pouvait lire dans le journal La Montagne du 23 août 2011 que « (…) la Marche et le Berry appartiennent à l’aire culturelle Centre-France [7] ». Guy Chambon, professeur de sciences économiques à Limoges, rappelle que l’arrondissement de Bellac (Basse Marche) demeure majoritairement tourné vers le nord et vers les départements de l’Indre, de la Vienne et de la Creuse [8] Michel Aubrun [9], historien, spécialiste de l'histoire des paroisses et du monde paysan, rédige l’avant-propos d’une étude de Guylaine Brun-Tigaud consacrée à Lourdoueix-Saint-Michel (Indre). Ce spécialiste explique que pour cette paroisse intégrée à la Marche « (…) l’attirance vers le nord n’a jamais manqué (…) ».

Tournons-nous maintenant vers le Docteur Hans Goebl qui est professeur à l’Université de Salzburg en Autriche où il exerce la fonction de directeur du Laboratoire de recherche de dialectrométrie, science qui appréhende de manière statistique les propriétés et l’unité des dialectes. Il publie en 2003 une étude des données de l'Atlas linguistique de la France qui montre très nettement que Dun-le-Palestel dans la Creuse « dispose d’un profil d’identité franchement oïlique ». Il en va différemment à Seilhac en Corrèze qui « est tiraillé entre le nord et le sud avec une certaine prépondérance vers le sud » tandis que Villefranche-de-Belvès en Dordogne « revêt une allure occitane à tous les égards [10]». L’analyse des relevés de l’Atlas linguistique de la France publiés en 1906 met donc en évidence que le Limousin historique et linguistique tend vers le Sud et que le Périgord y est totalement immergé. En ce qui concerne la Marche (Dun est en zone linguistique marchoise), elle penche à l’évidence vers le Nord.



 

La question de la place de la Marche dans la Région Limousin a toujours interrogé tant les deux entités possèdent une identité propre : « Depuis 1960, le département de la Creuse fait partie de la région Limousin (bien que ce territoire fût historiquement situé dans la Marche) » fait remarquer Michel Allard [11] , professeur au Département de géographie de l’Université de Laval au Canada. Jean-Charles Varennes précise que le comté de la Marche « évoluera à part de la Vienne moyenne et de la Corrèze auxquelles sera réservé le nom de Limousin ; un seul lien subsistera : l’appartenance au diocèse de Limoges [12]

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Robert Chanaud, alors directeur des Archives départementales de la Haute Vienne, confirmait cette analyse : « (…) passé le Moyen Age et avant 1956, il n’est pas correct de parler de Limousin pour désigner autre chose qu’une aire correspondant à la Corrèze et à une grosse moitié sud de la Haute Vienne, non compris les alentours de Rochechouart [13] ». David Glomot est docteur en Histoire médiévale à la Faculté des Lettres et Sciences Humaines de Limoges. Il explique en 2010 [14] que la Marche n’est pas la plus connue des provinces de l’Ancien régime et que les historiens qui ont peu traité son cas l’ont souvent assimilée par défaut au Bourbonnais (cf. René Germain en 1984 et 1999), au Poitou (Louis Merle, 1958), au Berry (Françoise Michaud-Fréjaville en 1997) ou bien encore au Limousin (Jean Tricard en 1996).

 



 

A – La Marche, aspects historiques

● Ambroise Tardieu, archéologue et généalogiste, explique en 1894 dans son Grand dictionnaire historique, généalogique et biographique de la Haute Marche que les Etats généraux de Langue d'oïl étaient établis à Bourges et que la Marche y participait.

● Christophe Jamain écrit au sujet des comtes de la Marche qu' « ils vont peu à peu se tailler aux dépens des seigneuries voisines un comté sur lequel ils exercent dès le Xème siècle des prérogatives de puissance publique. A partir de cette période, l'unité limousine va être rompue et la Marche va désormais évoluer indépendamment du reste du Limousin ». Devenue totalement autonome au neuvième siècle, elle le restera pendant près de 1000 ans avant d'être démantelée en 1790 lors de la création des départements. « Une autre division féodale subsistait au XVIIIe siècle, la seule à correspondre très exactement à la province de la Marche; il s'agit du gouvernement de Haute et Basse Marche. (...) La Haute et Basse Marche avaient formé à elles seules un gouvernement peu après la réunion du comté à la couronne [1531 - NDLA], et ce ressort, correspondant à la province, restera intact jusqu'en 
1789 (...) [15] ».

● Il n'y a pas eu de troubadours marchois mais, tout au contraire, on recense officiellement un trouvère, Hugues de Lusignan, comte de la Marche, « qui a laissé trois pièces lyriques en langue d'oïl », deux chansons d'amour et une pastourelle, comme l'explique Amédée Carriat dans son Dictionnaire bio-bibliographique des auteurs du pays creusois. Pour cet ancien président de la Société des Sciences de la Creuse, il n'existe aucune preuve historique que le troubadour Joan d'Aubusson appartienne à la famille du Vicomte d'Aubusson ni même que château d'Aubusson ait été le lieu de rendez-vous de troubadours limousins.


● Bernadette Barrière, qui fut professeur d'histoire médiévale à l'Université de Limoges, relate que « dès le Xe siècle, les comtes de la Marche sont présents et ont pris position en un certain nombre de lieux stratégiques, qui ont comme trait commun d'être placés sur des tracés routiers anciens demeurés importants : c'est Charroux, considérable carrefour, où ils se sont dotés d'une forteresse à proximité de l'abbaye qui les a précédés et dont ils profitent ; c'est l'éperon de Bellac qu'ils ont équipé d'un château faisant face au sud et aux "Limousins" (...) [16] ».


● En 1950, Désiré Brelingard, dans son Histoire du Limousin et de la Marche, explique qu'au XIVe siècle, si beaucoup de seigneurs limousins rechignent à soutenir le roi de France Philippe VI, il en va différemment en pays marchois : « seule la Marche apparaît décidée. L'influence française s'y affirmait déjà ».

La généralité de Limoges est établie en 1586, elle englobe l'Angoumois et la Saintonge : « le divorce ancien s'en accentuera entre la Haute Marche, rattachée à la généralité de Moulins, et le reste du pays [limousin – NDLA] ». Toujours au XVIe siècle, « pour la gabelle, le Limousin est un pays rédimé, la Marche est un pays de grande gabelle (...), au point de vue militaire, deux gouvernements : celui de la Haute Marche (Guéret), celui du Limousin (Limoges) ».

 



 

● Marie-Annie Moulin, dans sa thèse de troisième cycle (Doctorat), écrit que « La sénéchaussée de Guéret correspond à la Haute Marche et se régit par la coutume de la Marche, sauf Bellegarde qui relève de la coutume d’Auvergne. Dans les autres paroisses, selon les lieux, les justiciables peuvent être sujet à la coutume de la Marche, d’Auvergne, du Berry ou du Poitou [17] ». Au sud de la Marche se trouvaient les pays qui suivaient des pratiques inspirées du droit romain (jus scriptum), le droit écrit. Au nord, se trouvaient ceux qui appliquaient comme elle les Coutumes (droit sous forme orale) formées au cours du Haut Moyen Age et vraisemblablement héritées des royaumes germaniques, tous dotés d’un droit exclusivement coutumier. Christophe Jamain résume parfaitement la situation : « alors que Limoges et Brive, pays de droit écrit, dépendent en appel du parlement de Bordeaux, Guéret et Chénérailles relèvent de celui de Paris rassemblant les provinces soumises à un droit coutumier [18]».

● Emile Ruben, qui fut conservateur de la bibliothèque de Limoges et secrétaire général de la société d'archéologie de Limoges, écrivait déjà dans son Étude sur le patois limousin en 1866 que « d’anciennes coutumes de provinces au sud de la Loire sont écrites en dialectes du Nord, et je ne puis admettre que primitivement les deux Charentes, la Creuse, le Cher, l’Indre, l’Indre-et-Loire, etc., aient été occitaniens ».


● Armand Désiré de la Fontenelle de la Vaudoré, conseiller à la cour royale de Poitiers, a publié en 1843 Les Coutumes de Charroux dans les Mémoires de la Société des Antiquaires de l'Ouest. Celles accordées par Hugues de Lusignan, comte de la Marche, datent de 1247. Pour l’auteur, « il faut surtout remarquer que cette seconde coutume est en langue vulgaire, c’est-à-dire dans l’idiome qui était alors parlé dans le pays et qui est un mélange de la langue d’oc et de la langue d’oïl ». Evoquant cette seconde charte de Charroux, le Limousin Emile Ruben écrit pour sa part que « ce document, présumé de 1247, quoique contenant un certain nombre d’inflexions romano-provençales, a en général la physionomie française ».


● L’élection de la Marche, fixée à Guéret dès 1357, dépendit de la généralité [19] de Bourges à partir de 1456.


● Louis Duval, alors archiviste du département de la Creuse, aborde la question des étudiants du XVIe siècle. Il écrit que « ceux de la Marche suivaient les cours de l’Université de Bourges ». Cela nous est confirmé avec le Marchois Pierre Robert, lieutenant du roi en 1580 au siège du Dorat (Basse Marche) qui put « aller aux escolles en l’université de Bourges ».


● De 1470 jusqu'à la Révolution de 1789, la province était sous la juridiction du Parlement de Paris. « Les justices dites du Haut et du Bas Limousin laissent de côté l’essentiel de la Creuse, le nord de la Haute Vienne et la région de Rochechouart. Enfin le droit coutumier renforce encore l’appartenance poitevine de Rochechouart et l’autonomie de la Marche. Décidément, cette dernière ne peut pas être qualifiée sans abus de limousine, puisque tout concourt à la doter d’une individualité propre (...) [20] ».

 



● Robert Chanaud écrit en 2006 au sujet de la Marche sous l’Ancien Régime qu’ « il y a un seul diocèse (de Limoges et non du Limousin). Mais il y a une province du Limousin et une province de la Marche, un gouvernement du Limousin et un gouvernement de la Marche. La Haute Marche, rattachée à la généralité de Moulins, échappe à celle de Limoges ».

● A la fin du XVIIe siècle explique Christophe Jamain, « non contente d’avoir réussi, au gré des dernières réformes, à bénéficier d’une expérience administrative propre, la Marche va dès lors chercher à affirmer son unité, voire son autonomie par le biais de la revendication d’états provinciaux. Celle-ci persistera même lors de l’enthousiasme collectif des cahiers de doléances et des élections aux états généraux ». Basse et Haute Marche « (...) avaient formé à elles seules un gouvernement peu après la réunion du comté à la couronne [1531], et ce ressort, correspondant à la province, restera intact jusqu’en 1789 (...) ». L’Assemblée de la Haute Marche « réunie le 20 octobre 1788 à Guéret, eut un grand retentissement.
Elle revendiqua fermement la création d’Etats provinciaux réservés à la Marche et provoqua de l’agitation dans toute la contrée ». L’auteur précise qu’ « il serait aventureux d’y voir le désir de réaliser l’unité du Limousin » puisque, pour la Haute Marche, « son grand dessein est de constituer une réunion indépendante avec la Basse Marche ».

● La création de la Creuse après la Révolution de 1789 a fait l’objet de nombreuses tractations et a entraîné l’amputation de la Marche à savoir sa partie ouest (la Basse Marche). La commune du Donzeil [21] , au sud de la Creuse, le souligne : « ce département est né officiellement le 22 janvier 1790. L’identité marchoise n'est pas respectée puisque le nouveau département correspond pour les deux-tiers seulement au Comté de la Marche, excluant la Basse Marche (pays du Dorat). »


● Jean-Charles Varennes (1915-1995) est originaire de l’Allier et il fut enseignant à Montluçon. Il écrit en 1983 dans son ouvrage Les grandes heures de la Haute Marche qu’ « on comprend pourquoi, parmi les nombreuses limites de territoires, ce "pays" fut le seul à garder le nom de "Marche", parvenant à protéger son identité, à se dégager et se distinguer du Limousin (...) ».


Redecoupage des regions quelles perspectives pour les Marchois es 05● L’exemple de la migration saisonnière confirme la différence entre Marchois et Limousins. La carte fournie par le site Les maçons de la Creuse [22] met en évidence que c’est de la Haute et Basse Marche que part le plus grand nombre d’ouvriers migrants. Au milieu du XIXe siècle, il y a 5 fois plus de migrants en Creuse (Haute Marche) qu’en Corrèze (Limousin) et en ce qui concerne la Haute Vienne, c’est la Basse Marche qui fournit le plus grand contingent d’ouvriers. La migration erronément qualifiée de « limousine » a en fait été
essentiellement marchoise et c’est surtout Paris et sa banlieue qu’elle va rejoindre.
Un maçon creusois raconte, sous le pseudonyme du Solitaire, qu’il fallait dix jours de marche pour atteindre la capitale. Martin Nadaud raconte lui le rythme effréné du voyage vers Paris avec 60 km quotidiens. Parti de Bourganeuf, il chemine avec ses compagnons jusqu’au nord de la Creuse, première étape de leur voyage. En quittant Genouillat, les maçons passent par Nohant pour atteindre Issoudun et y dormir. Le jour suivant, ils vont jusqu’à Salbris en passant par Vierzon. Le lendemain ce sera l’étape Salbris-Orléans. La dernière partie du voyage (Orléans-Paris) pouvait parfois être effectuée dans des voitures tirées par des chevaux.

● Bien plus tard, s’est posée la question de l’organisation de Régions. En application du décret du 11 décembre 1954 naissent les comités d’expansion économique, embryons des futures régions. La nouvelle structure se nomme CREEP Marche-Limousin, preuve que la réalité marchoise conservait tout son sens. Hélas, dès 1956, la Marche disparaît au profit du seul Limousin [23] .

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B – La Marche, géographie physique et humaine

● En 1896, dans le journal catholique La croix de Limoges, un maçon creusois publie ses souvenirs. Il explique les raisons de la migration saisonnière et fournit une information particulièrement intéressante. En effet, il y a pour lui la Creuse d’un côté et le Limousin de l’autre : « le sol de la Creuse est pauvre, la terre y est morcelée. Ce n’est pas comme en Limousin où l’on rencontre des propriétés considérables avec de nombreux domaines [24] ».

● L’historien Alain Corbin a été agrégé d'Histoire-Géographie au lycée de Limoges
avant d'occuper une chaire à l'université de Tours puis à l'université de Paris-I.
Il s’est plongé dans la liste de conscription de 1848 des départements formant
l’actuel Limousin [25] . On constate que les cultivateurs à leur compte (agriculteurs, laboureurs) représentent 75,8% des conscrits corréziens, 46,4% de ceux de la Haute Vienne et seulement 20,9% des creusois. Par contre, le plus grand nombre d’ouvriers les plus précaires, les journaliers, est recensé en Creuse. Il en va de même pour les ouvriers migrants (57,2% des conscrits creusois) soit onze fois plus qu’en Corrèze et quatre fois plus qu’en Haute Vienne (l’historien ne distingue pas laHaute Vienne marchoise de la Haute Vienne limousine).
Avec le recensement de 1851, A. Corbin met en évidence que la Creuse compte le plus faible nombre de rentiers (1,3%), de fonctionnaires (1,3%), de militaires (0,2%), d’étudiants (0,3%), de métayers (3,7% soit 5 fois moins que la Corrèze et 7 fois moins que la Haute Vienne). Par contre, la Creuse compte deux fois plus d’ouvriers agricoles que les deux autres départements (6,1%), douze fois plus d’ouvriers (maçons, commerce, etc...) que la Corrèze et trois fois plus que la Haute Vienne.
La Creuse, issue en grande partie de la Haute-Marche, différait des départements limousins de part sa composition sociale où les classes les plus prolétaires prédominaient.

Redecoupage des regions quelles perspectives pour les Marchois es 07● Pour Olivier Belabanian, professeur de géographie à l'université de Limoges, « la
Basse Marche est donc un pays de transition largement ouvert aux influences des régions voisines comme la Brenne [située plus aunord dans le département de l'Indre, en région Centre - NDLA] et le Montmorillonnais [département de la Vienne, dans le Poitou - NDLA] ».
La Haute Vienne est composée de trois arrondissements, celui de Limoges au sud, celui de Rochechouart à l’ouest, et celui de Bellac au nord qui correspond globalement au tracé de l’ancienne Basse Marche. Evoquant les bocages de cette partie ouest de la Marche, O. Belabanian écrit que « cette région qui commence au nord des monts de Blond et d’Ambazac, possède un relief bien plus calme que toutes les autres régions limousines. C’est là que s’arrête la langue d’oïl ; au sud des monts de Blond et d’Ambazac commencent les parlers de langue d’oc ». Il souligne cette « frontière linguistique essentielle : celle des langues d’oc et d’oïl. C’est aussi une frontière humaine majeure qui traverse le territoire limousin ».


● Le cours des rivières présentes dans la Marche est orienté vers le nord-ouest. Mis
à part une portion de l’extrême sud de la Creuse qui relève du bassin de la Garonne, tout le reste du département appartient à celui de la Loire.

- La Creuse est une rivière qui traverse le département du même nom et qui va
ensuite longer les départements de la Vienne et de l'Indre-et-Loire avant de se jeter dans la Vienne. En Touraine, on observe au sud-ouest de l'Indre-et-Loire, une région qui s’appelle la Creuse tourangelle du nom de cette rivière et l'autre rive du côté de laVienne s’appelle la Creuse poitevine.

- La Gartempe devient un affluent de la Creuse dans le département de la Vienne.

- Le Cher, qui naît lui aussi en Creuse, est le deuxième plus grand affluent de la Loire après l'Allier et il arrose Vierzon et Tours.

 


 

Redecoupage des regions quelles perspectives pour les Marchois es 08● Les Monts de la Marche comprennent plusieurs massifs qui se répartissent aujourd’hui entre la Creuse et la Haute Vienne et les bords de l’Indre, de l’Allier, du Cher et de la Charente.
Cette frontière naturelle assure au nord la transition entre le Bassin Parisien et le Massif Central et la limite entre la langue d’oïl et le marchois. Ausud-est, elle délimite cette fois l’aire d’influence de la langue d’oc : les rochers de Puychaud (Monts de Blond) à plus de trente kilomètres au nord de Limoges, symbolisent cette limite définie par la figure emblématique du renouveau occitan, Frédéric Mistral. Une plaque posée en 1930 lors du centenaire de sa naissance rappelle cette « frontière » entre l’occitan limousin et le marchois et, plus au nord, les langues d’oïl.

● Même l’élevage met en évidence la spécificité marchoise. La race bovine
marchoise possède une origine commune avec la race Parthenaise et elle est rattachée au type Vendéen. Philippe Grandcoing, professeur agrégé d’Histoire en classes préparatoires au lycée Gay-Lussac à Limoges et spécialiste de l’histoire de la société limousine du XIXe et XXe siècle, relève une « coïncidence troublante, la marchoise est une variété de la race vendéenne, brachycéphale [26] (comme la charolaise), alors que la limousine, dolichocéphale, se rattache à la race d’Aquitaine ». En ce qui concerne les ovins, le site internet de La Creuse rurale et agricole explique que les moutons marchois étaient noirs et blancs : « la race marchoise était ainsi. C'était la race historique du plateau. Elle a été absorbée par la race limousine. Les traces noires que l'on voit ça et là sur les robes des moutons limousins témoignent de cette ascendance [27] ».
En 1643, le géographe Pierre d’Avity écrit dans sa Description générale de l’Europe que « chaque ville de la Marche a son trafic particulier et, comme la Haute Marche, abonde en bétail gros et menu qui se débite à Paris et autres villes de France ». Le géographe signale les relations commerciales établies avec des marchands de Picardie, de Touraine, du Berry et de la région de Blois qui viennent dans la Marche acheter des moutons. Amédée Carriat mentionne l’intendant de Moulins qui, en1686, cite les foires de la Marche dont celle d’Auzances « où se vendent quantité de boeufs et de cochons gras qui se conduisent à Paris [28] ».

 



 

C – La Marche, aspects linguistiques

La situation géolinguistique de la Marche a été abordée par différents auteurs :

● En 1864, le docteur François Vincent dans un article intitulé Quelques études sur le patois de la Creuse publié des Mémoires de la Société des Sciences de la Creuse constatait que « placée au moyen âge entre la langue des trouvères et celle des troubadours, entre la civilisation du nord et la civilisation du midi, (...) notre ancienne Marche se trouve sur la ligne de séparation de ces deux espèces de langues ».
● L’historien Maurice Favone est né en Creuse. Dans Histoire de la Marche (1938), il partage le même avis : « la Marche était non seulement une frontière entre les Aquitains et les Celtes, mais aussi une limite géographique entre la langue d’oc et la langue d’oïl ».
● Au XIXe siècle, un vif débat se tient sur la valeur linguistique du limousin « et ce, tout particulièrement dans la Creuse, qui formait une aire linguistique géographique marginale » écrit Samuel Gibiat [29] , directeur des Archives départementales de la Corrèze. Effectivement, la langue d’oc n’a pas été parlée sur tout le territoire du comté comme le faisait remarquer en 1908 Onésime Reclus, géographe originaire du Béarn : « pour plus d'exactitude, le vieil idiome d'oc, disons aujourd'hui le patois d'oc, n'a jamais régné dans toute la Marche ». Un siècle plus tard, Christophe Matho explique que si le sud du comté parlait la langue d’oc (cf. Bellac en Basse Marche, Aubusson en Haute Marche), « le nord accueillait un dialecte très particulier, intermédiaire entre l’occitan et la langue d’oïl, que l’on parle au-delà des frontières de l’ancienne province : le marchois [30] ».
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En Haute Vienne, la Basse Marche parle très majoritairement marchois, l’occitan limousin étant limité à la région de Bellac. En Creuse, une petite moitié nord appartient elle aussi au domaine marchois tandis que l’autre moitié parle la langue d’oc sous deux variétés : le limousin dans l’ouest (Bourganeuf) et le haut-marchois à l’est (Aubusson). Toutefois, après le latin, la langue administrative de la Marche a été le français et non pas la langue d’oc comme ce fut le cas dans le Limousin.

 
● Au sujet des chartes communales dans la Creuse, on peut lire dans le Dictionnaire Carriat que « ces conventions passées entre bourgeois et seigneurs (...) sont rédigées soit en latin (Ahun, Gouzon, Guéret, Boussac, etc.), soit en français (Clairavaux), soit en langue d’oc (Chénérailles) ». Cette dernière est la seule de la Haute Marche qui soit en langue d’oc, encore faut-il préciser qu’elle est la copie de la coutume de Montferrand (1196) déjà rédigée en "provençal".
Les plaintes de la comtesse de la Marche (1257) sont écrites en langue d’oïl : « Ce sont les plaintes de madame la contesse de la Marche vers Thebaud de Neuviz, seneschau de Poitou (...) ».
● Louis de Brosse, seigneur de Boussac (Creuse), combattit les Anglais et mourut à la bataille de Poitiers. Il a laissé en 1356 un testament dont le texte est en français avec ici ou là quelques traces de « patois ». Pour le linguiste Antoine Thomas, ce testament « nous donne une image fidèle du français, mâtiné de berrichon et de marchois, qui était en usage dans les hautes classes de la société et qui y tenait lieu du français de Paris ».
● Les comptes-rendus d’activité des sénéchaussées marchoises ont été étudiés par Antoine Thomas qui fournit une information importante : « le plumitif des audiences de la sénéchaussée de la Marche est en français : il devait être rédigé habituellement en cette langue depuis longtemps. Nous possédons un jugement du sénéchal Jean Griveau, rendu précisément aux assises de Felletin le 14 juin 1355 : il est en français. Nous pouvons même remonter plus haut, car le cartulaire des Ternes nous a conservé un acte du sénéchal, Philippe de Champrapin, daté de 1336, qui est également en français. Il n’est pas probable toutefois que cet usage remonte plus haut que les premières années du XIVe siècle [31] ». En effet, auparavant, les actes des sénéchaussées de la Creuse étaient écrits uniquement en latin.
● David Glomot, agrégé et chargé de cours à l'Université de Limoges, aborde le cas des terriers (registres administratifs) rédigés dans la Creuse. Ces « terriers écrits en excellent français et non en langue occitane montrent l’importance des influences venues du bassin parisien, en terme de notariat, mais aussi de législation (...) » écrit-il. Ce devait être déjà le cas un siècle plus tôt puisque la lecture du Canton de La Souterraine de Pierre Valadeau nous permet de découvrir des passages du terrier de cette commune datant de 1388 qui sont écrits en français.
 


 

D - Le Croissant marchois, domaine linguistique

L’aire linguistique du marchois forme un arc appelé le Croissant, allant de la région de Saint Claud (Charente) jusque dans l’Allier en passant par la Basse-Marche (le tiers nord de la Haute Vienne), la moitié nord de la Creuse, la pointe sud de la Vienne, de l’Indre, du Cher et l’extrémité nord du Puy-de-Dôme. Cette langue est donc parlée en dehors des limites de l’ancienne province.

● Michel Banniard, professeur à l’Université de Toulouse-Le-Mirail et directeur
d’études à l’Ecole pratique des hautes études, appelle marchois « les parlers de la zone occidentale de l’aire de transition finale du limousin au poitevin et au berrichon et de l’auvergnat au bourbonnais, désignée du nom un peu étrange de "Croissant" [32] ». Pour lui, la référence "marche" possède l’avantage d’évoquer une zone de contact qui repose « sur une assise historique et institutionnelle ».

● L’ouvrage collectif dirigé par Christophe Matho intitulé Patois et chansons de nos
grands-pères marchois, est justement « centré sur l’unité linguistique qui existe de Bellac à Montluçon, à cette langue différente de l’occitan et du français qui existe dans ce secteur, dans cette largeur pour être exact [33] ».

● Cette description recoupe celle établie au XIXe siècle par l’abbé Jean-Pierre
Rousselot qui fut l’inventeur de la phonétique expérimentale, président de la Société Linguistique de Paris, fondateur de la Revue de phonétique et professeur au Collège de France. « Son parler maternel fut le dialecte marchois, situé sur la limite entre les parlers gallo-romans du nord et du sud. Avec son père, il parle français » lit-on dans la revue Orbis [34].
En dehors de sa Charente natale dont une partie parle marchois, il cite aussi « en Poitou, Availles, Millac, Moutère, Luchapt, Asnières, Saint Brabant ; dans le Berry, Saint-Benoit-du-Sault et ses environs ; dans la Marche, Le Dorat, Lussac-les-Eglises, Arna, Saint-Sulpice-les-Feuilles, La Souterraine, Dun-le-Palleteau, Guéret, Noant, Chatelus, Ladapeyre, Boussac ; dans le Bourbonnais, Domérat, Montluçon, Commentry, Montvicq, Saint-Bonnet de Rochefort, Ganat, Mayet-d’Ecole, etc. [35] ».

Redecoupage des regions quelles perspectives pour les Marchois es 10

● Ernest Négre, qui a publié entre 1990 et 1998 la Toponymie générale de la France, est aussi connu pour son engagement puisqu’il fut professeur de littérature occitane et directeur du collège d'Occitanie à Toulouse. Ce spécialiste de la toponymie [36] place des communes situées dans le Croissant marchois (Basse Marche, moitié nord de la Haute Marche, sud de l’Allier) en « pays d’oïl ».

● Nous avons vu que Frédéric Mistral, né en 1830 dans les bouches du Rhône,
poète provençal et défenseur de l’identité méridionale, considérait qu’au nord-ouestde Limoges, dans les Monts de Blond, se situait la limite oc/oïl. Le Félibrige est à l’origine une association à vocation littéraire fondée en Provence en 1854 par Mistral et ses amis. Cette association a aujourd’hui pour objectifs la sauvegarde et la promotion de la langue et de la culture des pays d’oc. En 2012, le journal la Revisto faisait état de la randonnée organisée par le Félibrige du Limousin dans les Monts de Blond avec comme objectif la plaque qui commémore le centenaire de la naissance de Frédéric Mistral. Celle-ci « rappelle que là se situait la limite entre langue d’Oc et d’Oïl, pays de droit écrit d’une part et pays de droit coutumier d’autre part [37] ».

● Même constat au XXe siècle pour Marcel Villoutreix, spécialiste de la toponymie
limousine : « en ce qui concerne en particulier la Haute-Vienne, il faut noter que ce département est traversé entre Bellac et Le Dorat par la limite nord du domaine occitan. Au nord de cette limite, la région qui a été appelée Basse Marche constitue une zone, dite « croissant », où se mêlent des traits appartenant à la langue d’oc et à la langue d’oïl [38] ».

● En 1809, parmi les quinze versions de la Parabole de l’enfant prodigue de la Haute
Vienne collectées dans le cadre d’une enquête sur tout le territoire de l’Empire, quelques-unes concernent la Basse Marche. Des commentaires les accompagnent. Concernant la langue parlée au-delà de la Gartempe en Haute-Vienne dans l’arrondissement de Bellac (Basse Marche), les enquêteurs ont identifié deux types de langage. Si le premier, au sud de cet arrondissement, est défini comme étant limousin, le second, plus au nord, qui n’est à l’époque pas nommé mais que l’on sait maintenant être marchois, « s’éloigne plus ou moins du véritable patois limousin et se rapproche du français. ». Cet autre langage diffère du limousin « en ce qu’il est  composé d’un plus grand nombre de mots absolument français, en ce qu’il n’admet pas d’autres sons que ceux usités dans la langue française et enfin en ce qu’on netrouve pas dans ce langage aucune trace de l’accent limousin [39] ».

● Le Creusois Jules Marouzeau fut linguiste, directeur à l'École des hautes études,
professeur à la Sorbonne, élu à l’Académie française et président de l’association des Creusois de Paris. Il se souvient du passage dans son village (Fleurat) des charcutiers du canton sud, celui « qui touche au Limousin ». J. Marouzeau, encore enfant, les voit comme des « hommes étranges, qui parlaient un autre patois que nous » et qui « racontaient des choses incompréhensibles dans une langue où tintait les nasales [40] », ce qui confirme l’absence d’intercompréhension, maintes fois constatée, entre le marchois et l’occitan limousin.

 



 

E – Pour conclure

On voit bien que la Basse et la Haute Marche ne font historiquement et culturellement pas partie du Limousin et que la théorie occitane une fois confrontée à d’autres références dont beaucoup sont extérieures à ce mouvement (historiens, géographes, linguistes, etc.) ne concerne ni la Marche ni la langue marchoise présente dans le Croissant. Comme le fait remarquer le linguiste Nicolas Quint « la Marche et les Marchois sont exactement aux antipodes des inclinaisons culturelles etidéologiques des défenseurs de l’occitan [41] ».

On est bien loin d’une unité et d’une identité culturelle occitane qui serait uniformément commune à toute la Région Limousin. Sans verser dans le régionalisme, il convient de rappeler que cette région est composée quasiment à égalité de deux identités, la marchoise (le tiers nord de la Haute Vienne et la Creuse) et la limousine (les deux-tiers sud de la Haute Vienne et la Corrèze).
Comme le rappelle Robert Chanaud, actuel dirigeant de l’association Rencontre des historiens du Limousin, « on aurait assurément fait sursauter les habitants du Dorat, d’Ambazac, a fortiori de Guéret ou d’Evaux en les appelants Limousins ; en revanche tous auraient reconnu sans peine être du diocèse de Limoges, et, pour les deux premiers, de la même généralité. Il est erroné de « faire comme si » la Marche était une partie du Limousin : province, administration, justice, droit, tout concourait à lui donner une individualité [42] ». Et en 2010, lorsque Éric Donzé, journaliste à La Montagne, demande à un médecin du service de radiothérapie de Guéret « vous sentez-vous plus Limousin ou Marchois ? », sa réponse est claire : « Je ne me sens pas Limousin. Creusois, oui certainement [43] ».

Que dire dès lors d’un rattachement à l’Aquitaine qui s’étend jusqu’aux lointaines Pyrénées atlantiques (Pays Basque) et dont la Marche serait la banlieue économiquement peu favorisée ?
Bordeaux, la capitale régionale, est distante de la Marche de près de 300 km soit 4h de route c'est-à-dire le temps qu’il faut à un habitant du Dorat en Basse Marche ou de Guéret en Haute Marche pour aller à Paris en voiture !
Il faut donc se réjouir que l’Association des maires et adjoints de la Creuse (AMAC) rejette cette fusion et qu’elle cherche une autre solution.

Parce que la Marche le vaut bien.

Jean-Michel Monnet-Quelet

Saint-Sylvain-Montaigut, le 12 juillet 2014



Ouvrages publiés :


Le marchois, enquête sur un "patois" parlé en Creuse
Etudes marchoises, 2010

La Creuse en Marche ou le mythe occitan à l’épreuve des faits historiques et socio-culturels
Etudes marchoises, 2011

Le Croissant marchois, entre oc et oïl
Editions des régionalismes, 2013


A paraître en 2014 :

Glossaire de la faune et la flore dans le Croissant marchois,
Volume 1 : oiseaux, gallinacés, insectes volants


Autres liens à voir:

Entre oc et oïl, le croissant marchois : Charente, Vienne, Indre, Haute-Vienne, Creuse, Cher, Allier, Puy-de-Dôme
Sansao, site de Saint Sylvain Montaigut par Jean-Michel Monnet-Quelet
site Le marchois



 

Notes et références

  [1] http://www.festiv-en-marche.com
  [2] Extraits d’une Histoire de la Marche, préparée entre 1650 et 1658 par Pierre Robert du Dorat, in Mémoires de la Société des sciences de la Creuse, 1891-92
  [3] La commune de Combraille était un ancien chef-lieu de la Creuse. Supprimée en 1834, son territoire fut réuni à celui de Viersat (nord-est du département)
  [4] http://plataforma.canalblog.com/archives/2014/06/05/30017794.html
  [5] Jean Varlet, structures et dynamiques de l’espace limousin, Mappemonde, 1996
  [6] Histoire du Limousin et de la Marche, 1950
  [7] Article : La Marche et le Berry ressortent leurs vieilles histoires
 [8] Guy Chambon, Economie in Haute Vienne, Bonneton, 1997
  [9] Il fut professeur au lycée de Guéret avant de rejoindre l'Université Blaise-Pascal de Clermont-Ferrand
 [10] Hans Goebl, Regards dialectométriques sur les données de l'Atlas linguistique de la France (ALF), 2003
 [11] Portail http://www.geonymo.net/
 [12] Jean-Charles Varennes, Les grandes heures de la Haute Marche, Librairie académique Perrin, 1983
 [13] Jusqu'à la Révolution, Rochechouart dépendait du Poitou
 [14] David Glomot, Le traitement des terriers médiévaux de Haute-Marche à l’aide de SIG, Géocarrefour, Vol. 85/1, 2010, http://geocarrefour.revues.org/index7680.html
 [15] Christophe Jamain, Le département de la Creuse, ses origines et sa pérennité, PULIM, 2000
 [16] Bernadette Barrière, Limousin médiéval, le temps des créations, PULIM, 2006
 [17] Marie-Annie Moulin, Les Maçons de la Haute Marche au XVIIIe siècle, IEMC, 1996
 [18] Christophe Jamain, Le département de la Creuse, ses origines et sa pérennité, PULIM, 2000
 [19] Généralité : circonscription financière gérée par un intendant durant l'Ancien Régime
 [20] Robert Chanaud, Le Limousin, pays et identités, PULIM, 2006
 [21] Site du Donzeil : http://le-donzeil.fr/pageshtml/histoirevillage.html
 [22] http://webcreations.free.fr/liens.php3?viewCat=2
 [23] Sur un plan plus anecdotique, une Miss Marche-Limousin est élue tous les ans mais, hélas encore une fois, lors du passage télévisé lors de la cérémonie de Miss France, seul le Limousin apparaît sur son écharpe
 [24] Le Solitaire, Souvenirs d’un maçon de la Creuse, La croix de Limoges, 1896
 [25] Alain Corbin, Archaïsme et modernité en Limousin au XIXe siècle, 1845-1880, PULIM, 2000
 [26] brachycéphale = crâne court, dolichocéphale = crâne allongé
 [27] http://www.creuse-agricole.com/actualites/ovins-mouton-feniers-defend-la-limousine&fldSearch=:293PL2UA.html
 [28] Amédée Carriat, Dictionnaire bio-bibliographique des auteurs creusois et des écrits le concernant des origines à nos jours, Fascicule 2, p. 119, 1976
 [29] Samuel Gibiat, Le Limousin, pays et identités, PULIM, 2006
 [30] Christophe Matho, Patois et chansons de nos grands-pères marchois, CPE, 2010, p. 7
 [31] Antoine Thomas, Plumitif d'audience de la sénéchaussée de la Marche en 1462, MSSNAC, tome 7, 1891
 [32] Michel Banniard, Sur la notion de fluctuation langagière en diachronie longue (IIIe+VIIIe s.) à la lumière des enquêtes dialectologiques contemporaines, 2002
 [33] Christophe Matho, Patois et chansons de nos grands-pères marchois, CPE, 2010, p. 7
 [34] Orbis, 1952, p. 246
 [35] Jean-Pierre Rousselot, Les modifications phonétiques du langage dans le patois d’une famille de Cellefrouin en Charente, 1891, p. 297
 [36] Ernest Nègre, Toponymie générale de la France : étymologie de 35000 noms de lieux, Droz, 1990-1998
 [37] Lou Felibrige, la Revisto , N° 268, janvier-février 2012
 [38] Marcel Villoutreix, Langue et littérature, in Haute Vienne, encyclopédie Bonneton, 1997
 [39] Guylaine Brun-Trigaud, Le croissant, le concept et le mot, 1990
 [40] Ibidem, p. 113
 [41] Nicolas Quint, Le marchois, problème de norme aux confins occitans in Dominique Caubet, Codification des langues de France, Actes du Colloque de l'INALCO, L'Harmattan, p. 69, 2003
 [42] Robert Chanaud, Un Limousin à géométrie variable in Le Limousin, pays et identités, PULIM, 2006
 [43] Journal La Montagne du 29 décembre 2010